Malheurs du chasseur
Partie 2 - Le choix du chasseur
Les chasseurs modernes en lignes (MS-406 et MB-152) en septembre 1939 et mai 1940 ont été développés dans le cadre du programme C1 de 1934. Ce plan faisait suite à l'échec de la Conférence pour la réduction et la limitation des armement (1932-1934). Publié le 11 juillet 1934, il n'a trouvé sa forme définitive que le 16 novembre 1935. C'est dans le cadre de ce programme que sont opposés le Morane-Saulnier MS-405 et le Loire-Nieuport LN-161. Le choix final intervient fin 1936, les principaux marchés pour la production du MS-406 étant passés à partir de 1937, dans le cadre du Plan II, adopté en octobre 1936.
En 1934, on commence à avoir des indications sur un réarmement allemand même si cela faisait des années que le renseignement de l'air insistait sur l'importance de l’aviation pour le national-socialisme*. Mais ce n'est qu'au mois d'octobre, qu'une source nous fournit des informations sur le programme de réarmement aérien allemand. Toutefois, les premiers renseignements transmis sont très pessimistes et ne tiennent aucun compte des limites du potentiel industriel allemand, pas plus qu'ils ne distinguent les appareils de combat de ceux dédiés à l'entraînement. Cela n'avait pour seul but que d'obtenir d'avantage de crédits et justifier le nouveau plan de réarmement.
À partir de 1936, les attachés de l'air à Berlin, Paul Stehlin et Hubert de Greffier, sont capables de suivre le déploiement des escadrilles allemandes. Ainsi le 2e Bureau est en mesure de connaître d'une façon relativement précise la composition et l'implantation des unités aériennes allemandes. Cependant, il reste impossible de savoir quel matériel ont reçu les unités et en quelle quantité. De sorte, que l'on reste dans "l'esprit de 1934", c'est-à-dire à privilégier l'hypothèse la plus pessimiste pour nous.
Ajoutons à cela une surévaluation des effets potentiels des bombardements aériens et on obtient un cocktail à psychose idéal ! Notons que ce dernier point était largement partagé dans le monde occidental, selon Richard Overy.
De fait, le Plan I de 1934 apparaît comme un échec total : il faut produire rapidement des avions modernes pour faire face au péril : d'où le Plan II. Il faudra toutefois attendre le meeting international de Zurich, pour que les français se rendent compte de ce qui les attend outre-Rhin avec la claque du Messerschmitt Bf 109 !
En France, l'industrie aéronautique vivait quasi-exclusivement des commandes de l'État, donc de l'aviation militaire. Mais après la Grande Guerre, celles-ci s'étaient taries et cela ne s'arrangea pas avec la crise économique de 1929. Qui plus est, ce mode d'inféodation ne poussait pas à l'innovation car le puissant Service Technique de l'Aéronautique (STAé) étouffait tout esprit d'initiative. La "politique des prototypes", menée par Albert Caquot** de 1928 à 1934, n'améliora cependant pas la situation.
En 1934, la production d'avion en France était largement artisanale et malgré, les reportages triomphalistes dans la presse spécialisée de l'époque, la réalisation des commandes prenait du temps. Lorsque le général Victor Denain*** devient ministre de l'Air, il tenta une première restructuration du secteur. Mais ce fut un échec. De sorte que les productions du Plan I qu'il lança furent entachées de retards qui se répercutèrent par la suite. Il fallut attendre l'été 1936 et les nationalisation lancées par le gouvernement du Front populaire pour voire l'industrie aéronautique organisée vers la production de masse. Toutefois, cette politique salutaire souffrait de deux écueils :
- faute de crédits, les motoristes ne firent pas du lot et prirent le train en marche plus tard ;
- les nationalisations ne donnèrent leur pleine efficacité qu'en... 1939 et intervinrent à un moment critique !
Ainsi, les retards de production ne purent être enrayés et furent peut-être même amplifiés par le régime transitoire des nationalisations. Cette politique aurait dû être mise en œuvre plus tôt, ce qui est facile à remarquer et reprocher après coup.
Le MS-406 (ici de la 2° escadrille du GC I/6) est le symbole de l'échec de la chasse française de 1939-40 ; il n'est pourtant pas le seul à blâmer.
Le choix intervint en 1936. Le LN-161 s'était montré meilleur que le MS-406. Les meilleurs performances des prototypes des Hurricane et Spitfire était connues et un nouveau programme venait d'être lancé pour les rattraper. Pourtant ce n'est pas le meilleur qui a été choisi ! Choix dramatique selon Drix qu'il faut tout même tempérer.
Devant la montée en puissance de la Luftwaffe (certes très surestimée) et l'état de l'industrie aéronautique, mieux valait certainement choisir un appareil facile à produire avec les matériels techniques et les personnels disponibles dans l'industrie. Hors c'est probablement le MS-406 qui répondait le mieux à cet impératif ! La production du LN-161, tout en métal (ou presque) et au potentiel d'évolution sans doute supérieur, aurait nécessité la réalisation ou la commande de machines-outils, la formation du personnel... ce qui aurait allonger les délais de mise en fabrication. Certes, les moyens industriels de Loire-Nieuport furent englobés dans la SNCAO qui construisit l'essentiel des MS-406 ; mais les ouvrier étaient-ils tous qualifiés pour la production d'un tel avion ? En comparaison, celle du MS-406 faisait appel à des techniques bien connues ; même si elle demandait beaucoup plus d'heure de travail que celle de son concurrent, cela devait avoir un aspect rassurant pour les décideurs. Qui plus est, son mode de construction le rendait, pensait-on, facilement réparable sur le terrain, ce qui était un argument qui dut également peser.
Peut-être y a-t-il eut également des collusions, comme ce fut le cas pour le Potez 540 ou au moins une volonté de recalé le LN-161 envers en contre tout ; mais je pense que l'aspect industriel à joué dans la décision. On se devait de produire vite et il est possible, qu'aux yeux des décideurs, l'appareil remplissant le moins mal l'équation était le MS-406. Même si aujourd'hui ce choix nous parait plus que contestable à divers points de vue.
Notes :
* Jackson Peter, La France et la menace nazie : renseignement et politique 1933-1939, nouveau monde éditions 2017, page 93
** Albert Caquot fut directeur général technique du ministère de l'Air, du 18 octobre 1928 au 9 mars 1934. En septembre 1938, il prit la tête de tout les SNCA, puis, le 16 septembre 1939, il fut rappelé à son ancien poste de directeur général technique, dont il démissionna de nouveau en mars 1940. Il démissionna de la présidence des SNCA pour ne pas avoir à livrer des avions aux allemands ; sa demande fut acceptée le 1er septembre 1940.
*** Victor Denain fut chef d'état-major de l'armée de l'Air du 10 mars 1933 au 6 février 1934, puis ministre de l'Air du 9 février 1934 au 24 janvier 1936.
Sources :
- Bénichou M, 1919-1939 L'aviation américaine conquiert le monde, Le Fana de l'Aviation HS n°51 2013
- Facon P, L'histoire de l'Armée de l'air : Une jeunesse tumultueuse (1880-1945), éditions Larivière 2004
- Jackson P, La France et la menace nazie : renseignement et politique 1933-1939, nouveau monde éditions 2017
- Overy R, Sous les bombes : nouvelle histoire de la guerre aérienne 1939-1945, Flammarion 2014